Comment faire comprendre le coeur d’un programme communiste pour l’emploi ?

, par  pam , popularité : 2%

Aucun candidat aux présidentielles ne défend le bilan ni du quinquennat de François Hollande, ni même de celui de Nicolas Sarkozy... Tous se présentent comme candidat de la rupture avec ce qui ne peut plus durer... Bien sûr, ce n’est pour beaucoup qu’un jeu médiatique dont nous savons qu’il leur est une nécessité pour se faire entendre d’un peuple qui en a plus que marre des racontars qu’on lui sert à chaque élection, d’une alternance qui change les têtes et les logos pour le même résultat, pertes d’emplois notamment industriels, précarisation de tout et recul des services publics, mondialisation marquée par les guerres, le terrorisme, les réfugiés...

L’analyse publiée par l’université des classes populaires essaie de montrer à qui sont destinés ces programmes de "rupture" et leurs contradictions. Mais il reste que nous ne pouvons que constater la difficulté à faire entendre un programme communiste de rupture avec le capitalisme et même la difficulté de le construire de manière collective et de le faire grandir chez les militants, les syndicalistes...

Prenons donc la question centrale de l’emploi, et essayons d’éclairer les conditions pour faire grandir un programme communiste tourné vers la création massive d’emploi et la résorption complète du chômage...

Les communistes, les syndicalistes les plus conscients connaissent bien sûr des propositions centrales de toute politique économique tournée vers l’emploi, nationalisations, services publics, augmentation des salaires et pensions, droits du travail, investissements publics, et donc rejet de l’austérité-euro... Beaucoup d’études montrent que le coût de telles mesures est d’un point de vue macroscopique réaliste quand on évalue le coût du chômage, de la précarité, de la pauvreté et des politiques sociales qu’elle suppose... Même la droite peut dire "il vaut mieux payer un travailleur que d’aider un chômeur"...

Oui, mais si le peuple ne se dresse massivement pas pour dire "nationalisations, augmentation des salaires, investissements publics, sortie de l’euro"... est-ce seulement parce que nous aurions perdu une bataille idéologique ? Parce-que les idées de droite ont progressé avec l’individualisme ?

Je pense que nos propositions, leur forme, la manière d’en parler et surtout, notre pratique politique dans le mouvement social, notamment dans les luttes contre les fermetures d’entreprises, ou les luttes pour l’augmentation des salaires, le partage de profits (comme cette excellente action de la CGT agro sur l’OPA Kraft/Univeler), ne nous ont pas permis jusqu’à maintenant de rendre concret ce que serait une issue progressiste dans les luttes de classes d’aujourd’hui... La question se pose sous une forme très pragmatique dans les consciences populaires : comment peut-on s’opposer aux puissants qui ont tout pour eux, dans un monde mondialisé ? Et la réponse suppose de prendre conscience que ce n’est possible qu’en assumant collectivement une capacité réelle à diriger l’économie, c’est à dire à remplacer la bourgeoisie...

Or notre discours est au mieux perçu comme idéaliste, proposant une rupture qui suppose un gouvernement prenant des décisions radicales opposées à tous les autres gouvernements, dans cette mondialisation dont tout le monde a compris la violence et le caractère impérialiste... Il ne répond pas à la question pourtant posée depuis longtemps aux communistes, et notamment depuis le coup d’état au Chili en 1973... comment peut-on résister aux oligarchies des super-riches ? comment peut-on affronter les grandes multinationales ? Et comment le faire dans un cadre national bien affaibli par des décennies de renoncement ?

Sur le fonds, le peuple nous dit sans doute une vérité... Nous ne sommes pas capables (nous n’avons ni les dirigeants, ni l’organisation) de bouter la bourgeoisie hors de l’état et lui imposer de nouvelles règles... au profit du monde du travail.

Admettons que Mélenchon se glisse dans cette situation si imprévisible des présidentielles au 2eme tour face à Le Pen, et que, contrairement à ce qui s’était passé aux législatives de 2012 à Hénin-Beaumont, il réussisse à mobiliser toute la gauche et une droite républicaine pour lui faire barrage [1]. Admettons qu’il obtienne une majorité à l’assemblée pour le soutenir, après avoir certainement adapté certains aspects de son programme... Comment ferait-il ?

Il pourrait faire voter des lois, et espérer que la haute administration joue le jeu et assume tout le travail administratif nécessaire pour que les lois puissent s’appliquer (voila une question qui n’est pas simple du tout), que la justice et la police feront appliquer ces lois (idem...). Mais ce qui est sûr, c’est que tout ceux qui profitent du système actuel ne vont pas se laisser faire avec le sourire...

La situation du Venezuela est éclairante... La bourgeoisie est capable de mobiliser autour d’elle, avec le soutien sans limite de l’étranger et de ses "services", avec une bataille médiatique gigantesque et tous les moyens des grands groupes de médias, des grands réseaux sociaux pour faire grandir une contestation du régime...

C’est tout le problème du discours des 99% repris par Pierre Laurent dans son livre, car si 99% des Français ont objectivement intérêt à une autre société, ils sont très peu nombreux à en avoir conscience, et quand leurs habitudes, leur confort, leurs intérêts directs sont mis en jeu, ils font comme tout un chacun, et défendent leur intérêt propre immédiat, y compris contre leur intérêt à moyen terme [2]...

Or, tout programme de rupture bouscule l’état des choses, transforme les réalités concrètes de millions de gens, qui ne sont que très peu nombreux à avoir conscience du sens de cette rupture... Par exemple, la défiscalisation par Sarkozy des heures supplémentaires était bien une mesure de droite, qui réduisait le salaire total au profit des entreprises, mais elle permettait une hausse du revenu immédiat, et sa suppression a été vécue par l’immense majorité des salariés concernés comme injuste... C’est une des premières mesures qui a fracturé l’électorat populaire de Hollande après 2012...

Et le rapport de forces est essentiel pour tenir l’objectif de rupture. Mélenchon lui-même le dit dans son "bilan raisonné de 1981" :

Vous cédez un jour, le lendemain le rapport de force que vous n’avez pas constitué se retourne contre vous, évidemment. Et à partir de là, la vision institutionnelle, et la peur du choc avec les institutions et avec la droite, a conduit à ce que j’appelle moi le syndrome Allende.

Il a le mérite de tirer les leçons de l’expérience de 1983 en parlant d’insoumission et en faisant appel au peuple pour imposer une constituante... Mais comment passer d’un mouvement social contre la loi El Khomri qui réunit au mieux 10% des salariés à un peuple qui résiste à la violence que la mondialisation capitaliste déchaînerait contre toute expérience progressiste en France ?

La difficulté est bien dans la réponse justement à la puissance de cette mondialisation capitaliste... Comment faire si les multinationales organisent le boycott, les pénuries, les blocages.. Comment faire si de fait, les diktats européens conduisent soit à se coucher comme Tsipras soit à sortir de l’euro et alors... que peut-on encore acheter à l’étranger ?... A quel prix nos écrans plats, nos voitures hybrides, nos panneaux solaires, nos téléphones ?

Le plus souvent, nous répondons par des arguments "économistes" comme le font Sapir ou Lordon, avec des calculs statistiques sur le niveau de dévaluation acceptable, l’effet rebond des exportations... mais pourquoi le peuple devrait nous croire sur parole ? Qu’avons-nous fait comme démonstration ? Quand avons-nous fait nos preuves ?

A vrai dire, il faut reconnaître qu’elle sont bien limitées, no preuves. Mélenchon a été longtemps dans ces gouvernements de gauche qui au mieux ont échoués, il n’a rien montré comme député européen ou régional... Les participations gouvernementales des ministres communistes ont accompagné les privatisations, notre cogestion de régions ou départements se fait souvent sur une base politique de consensus large, donc pas de rupture, et en tout cas, toujours dans le cadre de l’austérité et du délitement de l’état républicain... Quand aux élus communistes locaux, ils sont souvent identifiés comme des aides pour résister à la crise sociale, mais dans quelles mesures portent-ils le projet d’une autre société ? [3]

Quand au mouvement social, il a des réussites incontestables, dont la plus récente est la réussite des FRALIB, mais aussi de nombreuses longues luttes héroïques mais défaites ! Le mouvement mutualiste, associatif, a depuis longtemps cessé de porter toute perspective de changement de société ! On ne sait plus d’ailleurs souvent ce qui différencie une mutuelle et une assurance... Quand aux luttes sociales, le dernier mouvement du printemps montre à la fois la renaissance d’une détermination et ces limites... Nous sommes au mieux au début d’une reconstruction.

Tant que nous ne dirons pas clairement comment nous serons capables de résister à la mondialisation capitaliste, aux intérêts des oligarchies, aux batailles médiatiques, nous ne pouvons convaincre du bienfondé de nos propositions globales. La clé de la réponse, c’est d’expliquer concrètement ce que Mélenchon évoque médiatiquement.. Comment organiser l’intervention populaire ?

C’est dans ce sens que nous avons rédigé les "cinq chantiers pour un programme communiste", faisant apparaître des décisions rapides, qui pourraient être prises par ordonnance et dont le cœur est de proposer des structures locales d’intervention populaire... pour la gestion de la sécu, de pole-emploi, des chambres de commerce... Pour le 100eme anniversaire de la révolution d’octobre un slogan simple et connu pourrait résumer le sens de ces propositions "tout le pouvoir aux soviets"... mais ce slogan est pour la masse des gens actuellement incompréhensible, ce qui nous montre en creux a quel point nous sommes loin d’une situation révolutionnaire...

Il faut bien sûr une autre politique économique, et donc s’appuyer sur les propositions de Friot, du réseau salariat, de la CGT, il faut des décisions nationales sur le SMIC, des nationalisations, des plans d’investissements, le refus des directives européennes... Mais rien de cela n’est possible sans faire vivre au concret des batailles pour dire "quel emploi", "pour produire quoi", "dans quelles conditions", "pour répondre à quel besoin", "avec quel niveau de salaire"...

Or, le lieu central de ce débat est... l’entreprise, le lieu interdit de politique, le lieu ou le discours patronal est omniprésent et omnipotent... C’est pourtant dans ce lieu de contradiction, mais aussi lieu de la production de toute richesse, condition de sa répartition, que se joue la capacité du peuple à être acteur...

Tentons de préciser comment les travailleurs, les chômeurs, les travailleurs sociaux, les associations d’insertion, les formateurs professionnels, les enseignants,les élus locaux... pourraient agir concrètement pour "révolutionner" l’ordre actuel sur la question clé de l’emploi, avec une double contrainte...
- il faut viser une réduction massive du chômage dans un délai très court, il faut plus qu’un "renversement de la courbe de hausse", mais il faut réellement des centaines de milliers de chômeurs qui retrouvent un emploi, une dignité, un droit, un salaire... en quelques mois...
- il faut centrer nos propositions sur ce qui donnera de la force à un gouvernement de rupture comme au mouvement social, les possibilités d’intervention populaire au concret...

Voici donc une proposition concrète d’organisation de l’intervention populaire pour l’emploi, qui serait une des premières décisions d’un gouvernement de rupture, mais qui peut aussi servir de guide à des luttes locales pour affirmer le droit des travailleurs à décider eux-mêmes... ! Elle est certainement critiquable, mais elle vaut autant par son contenu que pour la tentative de répondre à la question posée...

Comment organiser l’intervention populaire

Cette loi reposerait sur :
- la disparition en quelques mois du statut de chômeur, qui seraient tous soient recrutés, soit "affectés" à une entreprise, pour les replacer tous dans un collectif de travail,
- la transformation du modèle économique actuel des cotisations chômage en une mutualisation des coûts de "non activité", pilotés par la puissance publique et des conseils locaux pour l’emploi
- et de la transformation de pole emploi en organisme de développement professionnel pour les entreprises devant répondre à la question : que produire efficacement avec les compétences des "affectés"

1/ Tous les demandeurs d’emplois doivent être affectés à une entreprise. Pendant 6 mois les entreprises de plus de 10 salariés doivent recruter 10% de leurs effectif. Les entreprises seront exonérés de cotisations chômage à proportion des recrutements effectués (une entreprise ayant atteint les 10% de son effectif ne paie plus de cotisation chômage, une entreprise ayant atteint 5% paie encore 50% des cotisations précédentes)

2/ Au bout de 6 mois, des demandeurs d’emplois restants sont affectés administrativement par entreprise jusqu’à atteindre ses 10% de création d’emploi, l’entreprise prenant en charge leurs allocations chômage comme salaire, avec bien entendu le respect du SMIC, et touchant alors une subvention correspondant aux allocations précédentes. A ce stade, il n’y a plus de demandeurs d’emplois, mais des salariés "affectés" avec un statut particulier.

3/ Un conseil de réinsertion professionnelle par entreprise ou regroupement de petites entreprises d’activités proches, est créé avec la direction, les représentants de salariés, Pole Emploi, et un représentant d’organismes de formation professionnelle. Il a pour but de construire un projet professionnel pour les salariés "affectés", jusqu’à leur voir proposer un contrat de travail normal. Pole emploi continue à suivre ces salariés "affectés", et consacre la moyens libérés de la gestion des offres d’emploi, à l’accompagnement des entreprises pour leur réinsertion professionnelle

4/ Un conseil local pour l’emploi est créé par bassin d’emploi avec des représentants des directions, des salariés, des collectivités locales, des associations locales (insertion, environnement, usagers...). Les décisions des chambres de commerce sont placées sous leur contrôle. Les entreprises qui sont en difficulté économique, soit par évolution propre, soit parce-qu’elles ne peuvent absorber le surcoût des salariés "affectés" peuvent engager une procédure d’alerte auprès de ces conseils locaux pour l’emploi. Leur objectif premier est de mobiliser le système bancaire public en création pour assurer le fonctionnement de l’entreprise et de proposer le développement d’activités nouvelles permettant le redressement nécessaire pour assurer l’emploi nécessaire. Ces conseils locaux peuvent proposer un changement de statut aux salariés de l’entreprise (reprise par une autre entreprise, intégration dans une activité publique, transformation en SCOP)

5/ Des conseils économiques et sociaux par bassins d’emploi sont créés et ont pour mission d’étudier la mise en œuvre locale des programmes d’investissements publics, d’étudier les difficultés d’approvisionnements pour les entreprises, de proposer de nouvelles filières, des créations d’activités permettant de répondre aux besoins, d’innover dans les processus de production... Les pôles de compétitivité sont placés sous leur contrôle.

L’avantage de ces propositions est d’illustrer concrètement une décision radicale (tous les demandeurs d’emplois dans une entreprise), et qui crée des lieux d’intervention populaire (le conseil de réinsertion professionnelle et le conseil local pour l’emploi). Elles ne s’opposent pas aux grands objectifs de politiques économiques (nationalisations...) mais viennent les compléter pour un peuple acteur...

[1n’oublions pas que la droite fait 70% tout compris dans les sondages !

[2Voir la célèbre grève des camionneurs au Chili.

[3Même s’ils font mieux que les élus écologistes toujours les premiers dans les compromis avec les exécutifs socialistes...

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