Chili, 40 ans après, comprendre les raisons de l’échec du mouvement populaire La spirale ascendante de Alonso Quijano

, par  Pedro , popularité : 1%

Intervention d’un militant marxiste chilien lors de la présentation de son livre témoignage pour les 40 ans du coup d’état de 1973. Alonso Quijano avait apporté une longue expérience militante et une connaissance théorique profonde lors des activités du collectif Utopies à Lyon dans les années 2000. Avec ce texte polémique, il propose un effort de compréhension des forces qui ont fait l’histoire chilienne autour de 1973 et des raisons de leur échec.

La compréhension de ce qui s’est passé au Chili est une des questions que les communistes Français ont négligé, eux qui 3 ans plus tard, faisaient le choix de la voie pacifique au socialisme à la Française, voie vite devenue électorale, sans jamais répondre à la question simple "mais la bourgeoisie acceptera-t-elle le jeu démocratique si ses intérêts sont réellement mis en cause", question pourtant saillante en pleine dictature issue du coup d’état de 1973...

Il sera présent avec son livre aux 6èmes rencontres internationalistes de Vénissieux.


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Le coup d’état militaire de 73 au Chili marque une grave défaite des travailleurs chiliens, défaite qui est aussi une des défaites du mouvement ouvrier mondial. La lutte des travailleurs chiliens s’est inscrite dans la révolution mondiale des prolétaires et doit rendre compte à ses camarades vivant sous d’autres latitudes.

Le caractère international de la lutte des travailleurs chiliens, son développement, les espoirs qu’elle a suscité, l’énorme potentiel qu’elle aurait pu déclencher en Amérique latine et ailleurs, sa déroute même, peuvent servir et doivent servir, pour éviter à d’autres travailleurs le même type de défaites.

La caractéristique principale, celle qui a déterminée tout le processus politique et social, même la nature brutale de la répression, est sans doute le réveil lent, progressif, chaque fois plus important de nombreuses couches de prolétaires du Chili à la lutte pour ses revendications et à sa prise de conscience quasi révolutionnaire, pour les plus avancés, à la fin du gouvernement Allende.

Cette longue lutte d’un prolétariat qui a nécessité une longue période de préparation de ses éléments les plus conscients, avait été préparée principalement par les partis communiste et socialiste depuis quelques décennies. Ce vaste mouvement populaire avait trois objectifs politiques principaux, tous les trois indispensables pour sortir le Chili de l’arriération.

La société chilienne de ce moment présentait un développement inégal. Le pays vivait de l’exportation du cuivre (70% d’entrée des devises) et d’autres minéraux. Cette manne et les conditions internationales lors de la IIème Guerre mondiale, avait permis de développer une « industrialisation par substitution d’importations » qui fournissait la classe moyenne et les bourgeois riches avec des produits de l’industrie légère et certains articles de l’industrie moyenne.

Parmi les industries du pays, il y avait la sidérurgies, l’exploitation et la transformation du pétrole, des cimenteries, des usines pour produire la plupart des articles pour la maison, l’habillement, l’acier et le fer. Le bâtiment était de fabrication nationale, il y avait des industries électriques et mécaniques ainsi que des mines et un vaste artisanat qui avait donné naissance à une classe ouvrière assez combative avec une longue tradition de lutte.

L’agriculture était arriérée avec une exploitation de la main d’œuvre, par endroits, à caractère semi-féodal et qui n’était pas capable de nourrir la population bien que les terres pouvaient nourrir facilement le double de la population.

- Le premier objectif nécessaire pour sortir le pays de cette arriération, c’était la question agraire, la nécessité d’une redistribution de la terre, d’une réforme démocratique de la terre qui sera commencée par la droite (pour la plomber) , continuée par la Démocratie Chrétienne (pour créer un marché interne pour les capitalistes de villes), approfondie par l’Unité populaire et terminée par la dictature pour créer une agriculture capitaliste tournée vers l’exportation.

- Le deuxième objectif, était la récupération des richesses nationales, le cuivre surtout et d’autres minéraux. Réalisée sous Allende à 100%, aujourd’hui, après la dictature et la Concertation, moins de 30% des revenus du cuivre sont versés à l’état, le reste part à l’étranger.

En plus, malgré les capacités industrielles réelles et prouvées, seule la moitié du cuivre est élaboré au pays, le reste part en brut vers les usines impérialistes. Sous la dictature de Pinochet et la Concertation démocratique, les entreprises sont taxées selon leurs profits déclarés et non selon le minéral extrait ; certaines grandes compagnies multinationales, la Kennecot et l’Anaconda Copper Mining, toutes les deux nord-américaines, profitant d’une loi faite ad hoc pour elles, ne paient pas un sou d’impôts depuis plus de 20 ans, et exploitent le minerai en brut pour l’industrialiser ailleurs laissant un trou béant derrière eux.

- Le troisième objectif, était l’amélioration des conditions de vie des masses, la liquidation des flagrantes inégalités, de l’extrême pauvreté et du parasitisme des classes dominantes. Cette redistribution visait la création d’un marché interne plus large. Commencée avec force par le gouvernement UP, elle a été stoppée nette par le coup d’état accompagnée d’un retour important en arrière. Le Chili reste un des pays le plus inégalitaires de la planète.

Ce mouvement des masses qui a commencé au milieu des années 60 était large, complexe, contradictoire et s’est développé par vagues et contre vagues, toujours en parallèle mais aussi en contradiction avec les partis de gauche qui voulaient le subordonner à leurs tactiques électorales. Leur expression politique la plus radicale était dirigée politiquement par des parlementaires qui se disaient « socialistes » et même « communistes », mais qui avaient des objectifs propres, différents aux masses.

Ces objectifs étaient fondamentalement de passer un compromis historique avec les représentants d’une partie de la bourgeoisie. Cela se fera d’abord avec le parti Radical pendant les années 36-48 et avec la Démocratie Chrétienne par la suite.

Ce plan comptait neutraliser une partie aussi de l’impérialisme exportateur des produits finis en faisant quelques réformes nécessaires au développement du marché au Chili. Leur programme réel était de faire une profonde réforme agraire afin de créer ce marché interne, améliorer les conditions d’éducation, de santé, de logement, et des revenus de certaines couches populaires et partager des positions dans l’appareil productif, d’Etat, syndical et politique en alliance avec la bourgeoisie de centre, représentante des classes moyennes selon ce schéma.

C’est la ligne qui a prévalue, malgré les critiques venues de sa gauche, d’un secteur du PS, du MAPU. Comme celles venant du MIR qui lui ne faisait pas partie de l’UP et pratiquait une tactique d’« appui critique » et parfois de critique tout court, tout en développant certaines luttes de masses où il pouvait. Ces secteurs étaient impuissants devant Allende et de plus, ne comprenaient pas le fond de la stratégie conduite principalement par la direction du PCCh, Allende et un secteur du Parti socialiste.

Le MIR, le parti d’extrême gauche le plus important, prétendait qu’il s’agissait des politiciens qui se trompaient, des « réformistes », sans voir ni comprendre le fond, c’est-à-dire la recherche presque obsessionnelle d’un compromis historique avec le grand parti de centre droite, la DC.

Évidemment, cette politique de compromis historique qui n’était connue que des dirigeants les plus importants, ne pouvait pas se défendre ouvertement devant les masses qui luttaient pour « le socialisme » et seulement avec beaucoup de prudence à l’intérieur même du Parti Communiste chilien.

Cette contradiction entre la poussée chaque fois plus forte des travailleurs qui voulaient ce qu’eux entendaient par socialisme (en fait les trois principaux objectif politiques déjà décrits correspondant à une révolution démocratique profonde), et le gouvernement, orienté dès le début vers un accord avec la Démocratie Chrétienne, mais qui disait « aller vers le socialisme teinté des couleurs nationales », va marquer une des contradictions au sein du peuple ; cela explique non seulement la radicalisation des masses, mais aussi leur désenchantement et le peu qu’ils ont défendu le gouvernement Allende.

Une autre des contradictions sera celle des tout petits partis d’extrême gauche qui tel le MIR poussera à une « radicalisation du procès » avec une politique qui hésitera entre une rupture ouverte avec le « réformisme » et un appui critique du gouvernement. Cette position au milieu des eaux, permettait à la droite de l’utiliser contre le gouvernement auprès des couches moyennes, celles mêmes qui étaient la cible d’un futur accord PC-DC, sans pour autant permettre au Mir de se développer vraiment malgré ce que l’on a pu dire.

L’autre organisation d’extrême gauche, le PCR, d’orientation M-L, par sa tactique à tout sens erronée, n’arrivera jamais à se développer et seulement lui permettra d’agiter quelques généralités qui ne pouvaient que prendre peu parmi les masses. Et cela par manque d’une tactique juste correspondant à l’état de conscience réelle des masses et à la dynamique propre du mouvement et non à leurs désirs subjectifs. Le PCR n’arrivera jamais à se développer.

Sans comprendre le facteur principal, la montée continue de la lutte des travailleurs qui voulaient le contrôle des usines, des propriétés agricoles et des « poblaciones » et faire « le socialisme » et qui a déterminé toute les virages et avancées de la politique au Chili, on ne peut pas comprendre la force de la contre-réaction de la bourgeoisie et de l’impérialisme, la violence de la répression de l’armée, l’impossibilité du compromis cherché par Allende et le PC.

Historiquement au Chili, depuis de longues années, au moins depuis 1934, s’était fait jour au sein de la direction du PCCh, en réaction à la ligne ultragauchiste de l’IC de ce temps, une ligne politique opportuniste de partage du pouvoir avec une partie de la bourgeoisie. Du point de vue de sa forme cela s’appelait « la voie pacifique au socialisme » et correspondait dans les conditions du Chili, à une forme de « l’Eurocommunisme ». Cette orientation venait de l’URSS, qui à ce moment et depuis la fin de la guerre mondiale, cherchait un modus vivendi avec l’impérialisme US aussi bien en Europe qu’ailleurs dans le monde. Sur le plan international, c’était la dite « coexistence pacifique entre systèmes opposés ».

Mais le contexte dans lequel cela voulait se mettre en place au Chili, était parfaitement contradictoire. D’un côté la victoire de la Révolution Cubaine comme la lutte héroïque du peuple vietnamien contre l’agression impérialiste avaient donné une forte impulsion aux idées de gauche dans le pays et de l’autre les mêmes phénomènes faisaient que l’impérialisme US ne pouvait surtout pas tolérer une « nouvelle Cuba » dans l’Amérique Latine.

Moins encore quand l’existence d’un fort « camp socialiste » malgré toutes ses déficiences, voire même dégénérescences, représentait un appui pour les luttes des travailleurs ou au moins les travailleurs se croyaient soutenus par le camp dit socialiste. En fait, les évènements du Chili vont le prouver, il n’en était rien et les dirigeants soviétiques ligotés par leurs accords avec l’impérialisme (chacun défendant son pré carré et jurant de ne pas s’immiscer dans celui de l’autre) vont laisser tomber le gouvernement d’Allende.

Les US tiendront toujours présent le danger d’un accord DC-PC, non seulement parce que cela pouvait signifier une avancée de l’URSS dans leur arrière-cour, mais par l’effet d’imitation qu’un tel compromis pouvait avoir dans certains pays européens, tels l’Espagne, l’Italie, la France.

Pire encore, ceux qui, poussés par la force du mouvement des masses, ne voulaient qu’arriver à un compromis impossible, ne voulaient et ne faisaient rien pour se défendre en cas de victoire de leur camp, tout en étant parfaitement conscients des dangers d’un coup d’état militaire bourgeois pro-impérialiste. Tant la « voie pacifique » comme la consigne de dernier moment « non à la guerre civile » précipitèrent et facilitèrent la boucherie des militaires. Le PC a complètement abandonné toute politique militaire, toute norme conspirative et il n’était pas du tout préparé à défendre ni ses propres troupes, ni les masses, moins encore le gouvernement d’Allende. Cette option était totalement exclue aussi bien politiquement que parce qu’elle empêchait toute possibilité de compromis avec le centre droit.

La droite et l’impérialisme avaient tissé une camisole de force légale contre le gouvernement Allende et ses inspirateurs du PC. Afin qu’Allende puisse arriver au gouvernement (il n’a jamais eu accès au pouvoir), il a fallu qu’il signe des « garanties démocratiques » qui le liaient pieds et poings, le mettant à la merci des institutions de l’état bourgeois. Étant donné son objectif de rechercher un compromis historique et des réformes, cela ne le gênait pas trop.

Les organisations de gauche qui se trouvaient à la gauche de la coalition des communistes et socialistes, le MIR et le PCR n’ont fait l’un que passer de la collaboration « critique » de l’Unité Populaire, comme la mouche du coche, à la collaboration sans principes, sans comprendre la nature du régime. L’autre, le PCR, avait comme tactique la dénonciation générale, sans nuances, hors du mouvement réel de classe, pratiquant une politique dogmatique qui les a réduit tous les deux à des groupes sans aucune prise sur les évènements. Et cela même quand les éléments les plus avancés des masses commencèrent à se détacher de l’Unité Populaire.

Comme souvent ce sont les masses elles-mêmes composées des meilleurs éléments des partis de l’Unité Populaire pour l’essentiel, plus les militants de l’extrême gauche, qui fouettées par la réaction, ont conduit et mené les actions les plus décidées dans leur quête aveugle d’une issue révolutionnaire. Elles ont rencontré d’un côté l’opposition du gouvernement qui ne cherchait que son compromis historique bidon, et de l’autre côté la haine de la bourgeoisie déchainée contre les travailleurs et contre le gouvernement qui disait les représenter.

C’est là que s’inscrit le phénomène de masses le plus important de cette période ; la constitution des JAPs (Juntes de contrôle des prix et de la distribution) et de certains Cordons Industriels, des organisations qui rassemblaient des travailleurs d’une zone industrielle et qui étaient d’abord une réponse à la grève réactionnaire des transporteurs qui avait paralysée l’économie du pays.

Le gouvernement a préféré former un cabinet avec des militaires et des dirigeants syndicaux pour arriver à un compromis avec les grévistes réactionnaires déjà défaits par les masses. Cette démarche des dirigeants de l’Unité Populaire, était obligée pour arriver au compromis qu’ils cherchaient comme des desperados et marque le sens profond de tous les dites « erreurs » de l’Unité Populaire. En fait leur politique suit une logique très claire dès qu’on en a trouvé le fil conducteur.

Devant cette montée constante, bien que par flux et reflux de la lutte et de la conscience politique des travailleurs, la bourgeoisie a développé un large mouvement, puissant, bien organisé, d’une profonde conscience de classes. Depuis le début elle a essayée d’abord de contrôler légalement le mouvement politique de l’Unité Populaire et les masses qu’elle disait conduire. Après, une fois qu’il est apparu clairement que les masses n’étaient pas dans leur mouvement, n’avaient pas voté Allende pour en rester là et continuaient leur approche de la révolution sociale, la bourgeoisie est passée à la lutte scientifiquement menée, appuyée sur l’aide indéfectible de l’impérialisme pour liquider le mouvement des masses, couper toutes les têtes qui dépassaient et en finir avec le gouvernement Allende et le danger communiste.

Pour la bourgeoisie et l’impérialisme, les choses étaient claires : pas de compromis possible avec des gens qui par leur activité avaient réveillé la puissante et combative classe ouvrière chilienne. Ils préparèrent et mirent à exécution un des coups d’état les plus sanglants de la fin du siècle, non pas par une quelconque nature bestiale, comme la légende destinée à cacher la nature classique, répétée, de classe, de cette sorte d’issue de la lutte de classes le dit, mais tout simplement parce que c’était pour eux une nécessité. Ces gens qui savent où se trouvent leurs intérêts, historiquement, n’ont jamais fait autre chose que massacrer les travailleurs chiliens dès que les travailleurs se soulevaient et ne savaient pas finir leur tâche historique.

Reprenons les évènements politiques qui ne doivent pas cacher les aspects décisifs du phénomène. Le phénomène fondamental nous ne le redirons jamais assez, c’est la montée ininterrompue de la lutte des travailleurs chiliens, clef de toute compréhension de la situation. Sans tenir compte de cet élément, on ne peut pas comprendre la logique des événements.

De 1964 à 1970, le gouvernement Frei, démocrate-chrétien qui avait voulu représenter une alternative pro-américaine à la révolution cubaine, essaya de freiner la montée progressive des luttes des travailleurs des villes et des campagnes, par des promesses et quelques réformes très insuffisantes. Bientôt il va céder la place à l’Unité Populaire et à Allende suite à la crise chronique de l’économie chilienne et aux massacres de travailleurs et pobladores auxquels il s’était livré.

Et cela malgré les essais répétés du Parti Communiste chilien de se mettre d’accord avec eux pour présenter une candidature commune. Le PC qui sent la montée des luttes ne veut surtout pas se trouver à la tête d’un processus pour lui sans issue révolutionnaire possible. Voilà la raison de fond de leur recherche d’un accord avec les « partis du centre ». Mais ces essais ont été rejetés avec mépris par la DC sous l’inspiration de Frei et de l’impérialisme américain. Il n’est donc resté au PC d’autre choix que d’appuyer la candidature d’Allende, sénateur du PS, homme de l’aile droite réformiste du PS à ce moment-là. La dynamique de la lutte de classes va le pousser jusqu’à son comportement héroïque lors du coup d’état.

En septembre 1970, Allende gagne avec 36% des voix, donc par une petite marge de voix, l’élection présidentielle, mais son programme est approuvé par une marge importante de la conscience des travailleurs. Le candidat de la DC, Tomic, qui a fait autour de 27% des voix, avait un programme presque identique à celui d’Allende. Les travailleurs ont préféré l’original à la copie… comme toujours.

Le programme de l’UP, la coalition de six partis était un programme démocratique radical qui pouvait aller vers le socialisme s’il y avait eu la force nécessaire et la volonté pour l’y conduire.

Mais la volonté manquait. Comme déjà dit, l’objectif des secteurs les plus conscients de l’UP était de mener quelques réformes nécessaires au développement « normal » du capitalisme tout en partageant les hauts et moyens postes de l’administration de l’état, syndicaux et politiques, le pouvoir avec la bourgeoisie. C’était la constitution de ce que quelques-uns ont appelé la « bourgeoisie bureaucratique ».

Le programme de l’UP était présenté aux masses comme « la voie chilienne au socialisme » et incluait la nationalisation des banques, des principales richesses minières du pays, de « 90 entreprises monopolistes stratégiques », l’approfondissement de la réforme agraire, une redistribution « plus juste » de la richesse nationale concentrée dans les mains de l’oligarchie. Le développement de l’éducation, l’accès à la santé gratuite, la construction des logements sociaux.

Ce programme a commencé à être mis en pratique tout de suite avec des résultats visibles, tant en termes d’augmentation de pouvoir d’achat des travailleurs, pensionnés et retraités, comme dans la diminution du chômage par un programme massif de construction des logements sociaux.

Au bout de quelques mois la réforme agraire avait accéléré son développement, la richesse principale du pays, le cuivre et autres minéraux, avait été nationalisée, un nombre important d’entreprises étaient passés aux mains de l’état qui nommait des « fonctionnaires » pour les gérer en attendant leur nationalisation.

La bourgeoisie sonnée et maladroite au tout début (un attentat de la ED contre le chef de l’armée a mis l’armée momentanément du côté du « pouvoir constitutionnel »), s’est rapidement reprise et a commencé dans ses fiefs à mener une opposition totale au gouvernement. A partir de la Cour des Comptes, les Tribunaux de Justice, le Parlement, le Medef local, des organisations de la petite bourgeoisie commerçante, des professions libérales, va surgir un vaste mouvement de masses de droite, qui va se construire rapidement. Assez souvent en s’engouffrant sur les erreurs et les hésitations du gouvernement.

De l’autre côté, les masses qui avaient voté pour « le socialisme » n’attendirent pas et se mirent en mouvement. Les occupations d’usines, impulsées principalement par la base de l’UP et dans les lieux où se trouvaient les rares militants de l’extrême gauche, firent un bond et l’on se retrouva rapidement avec 250 « entreprises stratégiques » dans les mains des travailleurs. Tout conflit social portait la menace de la prise de l’usine et de son « expropriation ».

Les champs avaient aussi été pris par les paysans et les terrains vides par les « pobladores », les mal-logés, qui, comme c’était la forme traditionnelle de lutte à cette époque, occupaient des terrains vagues inexploités pour bâtir leurs maisons.

Politiquement cela a donné un appui des masses important. Le gouvernement a pu gagner les élections suivantes avec une majorité absolue. Des discussions sont apparues au sein de l’UP. La gauche du PS et le MIR, qui ne comprenaient rien à la stratégie de fond de ceux qui gouvernaient réellement, demandaient d’exploiter l’avantage. Mais le PC et l’aile droite du PS avec Allende, qui gouvernaient réellement, n’ont pas forcé les évènements qui auraient pu liquider la droite et la démocratie chrétienne. Et pour cause, comment faire un « compromis » s’il n’y a personne avec qui se compromettre ?

La démocratie chrétienne de Frei répondait presque directement à l’impérialisme US (comme la droite d’ailleurs, bien qu’elle défendait encore les latifondiaires qui étaient historiquement condamnés, ce qui faisait une différence), et s’en prendre à elle aurait été la même chose que s’en prendre à l’impérialisme. Comme la tactique recommandée depuis Moscou était d’arriver à un modus vivendi avec une partie des impérialistes (le secteur intéressé à un développement du marché interne pour exporter leurs produits) cela ne s’est pas fait. Il y a une logique de fond dans tout ce qu’a fait l’Unité Populaire et ceux qui criaient au « réformisme », à « la ligne droitière » ne comprenaient rien à la politique que menait le gouvernement.

La suite, malgré l’augmentation de la production selon les statistiques du moment, n’a été qu’un développement exponentiel de la lutte de classes où, tant la droite alliée à la DC, très habilement dirigée, que les travailleurs sans direction révolutionnaire et cantonnés à être la menace toujours brandie et jamais utilisée du gouvernement, se sont affrontés.

Du côté du gouvernement et du secteur dominant de l’UP au contraire, un ministère Millas, l’idéologue et véritable inspirateur de la politique du PC, a vu le jour. Cela, à la suite de l’échec de la « relance keynésienne » du ministre Vuskovic qui, obligé de payer toutes les expropriations, avait généré une inflation importante, mais surtout une opposition hystérique de la part de la réaction touchée dans ses intérêts.

Le ministre Millas, soucieux d’arriver à son objectif, c’est-à-dire l’accord avec la DC, a présenté un plan qui signifiait un recul d’une telle importance, comprenant la restitution de la plupart des entreprises occupées par les travailleurs, des terres et des propriétés à la bourgeoisie, que même Allende et le reste de l’UP s’y sont opposés. Le plan est tombé à l’eau mais la démoralisation des masses fut à la hauteur du plan. Le gouvernement non seulement ne faisait rien pour « avancer sans transiger » comme le voulaient la gauche du PS et le MIR, mais encore démoralisait ses propres troupes en permettant à la droite de semer le désordre et la subversion.

La réaction levait la tête tant par les hésitations du gouvernement, toujours à la recherche d’un accord impossible, que par le fait que le gouvernement UP payait toutes les « expropriations » , sans ligne de crédit, vidant ainsi les caisses de l’état et faisant fonctionner la planche à billets, aggravant les déficits et l’inflation.

A cela s’ajoutait le sabotage organisé du patronat de la distribution des biens de consommation courante essentiels. Cette situation a fait basculer la petite et moyenne bourgeoisie professionnelle et commerçante qui ne trouvait rien de ce qu’elle était habituée à trouver pour vivre (ni bonne à bon marché ni les produits alimentaires et de confort auxquels elle s’était habituée), dans les bras de la réaction, cette fois-ci comme troupes manifestants contre le gouvernement.

Une organisation d’ED nationaliste qui recrutait tous ceux qui avaient été affectés par les mesures du gouvernement plus toute la frange des réactionnaires extrêmes va se lancer dans le sabotage et la mise des charges sur les voies ferrées, sur l’autopiste qui reliait le pays du nord au sud, dans les postes de haute tension, etc.

A cela s’ajoutait la guérilla du Parlement dominé par la droite et la DC qui empêchaient toute taxation aux grandes et moyennes fortunes. Opposition aussi de la part des institutions majeurs de l’Etat, des tentatives des militaires isolés mais récurrentes des coups d’état, une tous les six mois, la désobéissance des hauts cadres de la police, de la magistrature, la grève des notaires, des avocats, des ingénieurs, des commerçants, des fonctionnaires de haut grade, des médecins, bref, toute la bourgeoisie en rang de bataille pour freiner la montée des luttes populaires dans laquelle la majorité des réactionnaires voyait, sous la forme de la phraséologie radicale de quelques socialistes sans réelle prise sur les évènements, la main du gouvernement, mais surtout l’expression de ce qu’ils craignent le plus ; « le chaos » c’est-à-dire la révolution social.

Jouait aussi sur ces question hautement politiques l’intérêt sordide de la petite bourgeoisie toujours habituée à avoir des serviteurs à très bon marché qui commençaient à disparaître par l’augmentation des salaires des ouvriers. Le manque des bonnes, les difficultés d’approvisionnement, l’étalage de leur nouvelle richesse (toute relative) des nouveaux bureaucrates et fonctionnaires de l’UP, une couche bureaucratique assez pourrie qui se formait très rapidement, donnaient aussi des vertiges à une classe moyenne habituée à considérer les travailleurs comme moins que rien et à leur service mal payé. La bonne, le jardinier, le « petite homme » à tout faire, d’autres serviteurs faisaient partie de l’entourage habituel des classes moyennes aisées et moins aisées qui ainsi se prenaient pour bourgeoises et dont la droite flattait non seulement leur flemmardise mais attisait par-là leurs contradictions subjectives et objectives avec le prolétariat.

En 1972 les transporteurs indépendants qui étaient financés par le patronat et la CIA ont déclenchée la grève des camionneurs paralysant tout le pays. Ils furent contrés par la mobilisation presque spontanée des militants de base de l’UP, du MIR et du PCR qui ont mis en place des organisations de contrôle et de distribution (avec recherche et expropriation des denrées cachées par les centres de distribution privés et des commerçants), les JAP. Ce mouvement de fond, à la base a montré aux masses qu’on pouvait totalement se passer tant de la passivité propre comme de l’état bourgeois.

Ces organisations ont été combattues avec acharnement par la bourgeoisie et…par la direction de l’UP qui au lieu de s’appuyer sur elles pour avancer une fois la grève des camionneurs inutile et défaite a appelé un cabinet des militaires constitutionalistes, les rares qui pariaient encore sur les chances de passer ce compromis sans risquer une guerre civile.

Mais guerre civile il n’y en aurait pas. Non pas parce que la droite et l’impérialisme ne la provoquaient pas tous les jours par les moyens de presse qui contrôlaient à 70% et par toute leur action ; mais tout simplement par la politique du PCCH qui cherchait et cherche jusqu’à aujourd’hui ce Compromis Historique, convaincu qu’une révolution prolétarienne ne pouvait pas triompher dans les conditions du Chili de ce moment, qu’elle serait écrasée par l’impérialisme US, ni ne la voulait pas non plus pariant jusqu’au dernier moment sur une « sortie démocratique ».

Ainsi, après la défaite de la première grève des camionneurs, la droite et la DC appuyés par l’impérialisme, la bourgeoisie et la petite bourgeoisies déchaînées, manifestaient dans la rue à tout instant pour les moindres prétextes et rageusement. La droite et la DC ont pensé qu’ils pouvaient gagner les proches élections parlementaires avec une majorité suffisante (deux tiers) pour démettre Allende le plus légalement possible.

Mais les masses, qui restaient allendistes pour leur grande majorité, et ne voulaient pas revenir en arrière ni voulaient moins encore une « guerre civile » qu’ils voyaient perdue parce qu’ils étaient sans direction révolutionnaire ou avec des simulacres de révolutionnaires, est allée voter en masse pour les candidates de l’UP, qui se retrouvèrent, surpris eux-mêmes avec plus de 43% du suffrage et…l’impossibilité pour la réaction de démettre Allende par la voie légale. Les masses appuyaient « leur » gouvernement. Un slogan vu lors d’une des manifestations d’appui au gouvernement reflétait parfaitement l’état de conscience des masses à ce moment précis. Sur la pancarte on lisait « c’est un gouvernement de merde, mais c’est le nôtre ». C’était le début de l’année 73.
« Qu’à cela ne tienne » s’est dit la droite et la DC et dès le soir de l’élection ils se sont mis à préparer tant la prochaine grève pour paralyser complétement le pays jetant dans la rue et en grève, des étudiants jusqu’au dernier professionnel et commerçant, artisan, technicien, ingénieur qu’ils pouvaient recruter (et il y en avait) plus les camionneurs, plus « la carte de réserve » c’est-à-dire les militaires chaque fois plus « séditieux ».

Après un essai raté, un régiment de blindés s’est soulevé en juin 73 travaillés par l’ED, les plans de l’état-major de préparation du coup d’état avancèrent et c’en n’était un mystère que pour les sourds et les aveugles.

Six mois à l’avance les militants et les personnes pariaient sur la date du coup d’Etat. Que faisait devant cela, la gauche de l’UP, les socialistes, le MAPU ? Elle faisait des déclarations incendiaires mais en concret rien. L’EG ? Elle défilait avec des bâtons et faisait des actes où la parole révolutionnaire remplaçait une sérieuse politique révolutionnaire. Le PC ? Cherchait à travers l’Eglise, le commandant de l’armée et un secteur minoritaire de la DC un accord avec ce qu’elle appelait les « secteurs constitutionalistes, non putschistes, démocratiques de la DC » .L’exacerbation de la lutte de classes, évidente pour tous, semblait pouvoir être conciliée avec des incantations, compromis et accords d’appareil. Toute cette politique du compromis pacifique n’était en réalité qu’une aventure suicidaire et criminelle qui pariait sur un impossible et laissait sans défense les masses et les militants de gauche.

Au milieu de cette situation, aggravée par une loi dite de « contrôle d’armes », passée sous le gouvernement Allende qui n’a pas appliqué son veto, qui permettait à l’armée de fouiller les usines, les champs et les « poblaciones » à la recherche des armes des travailleurs, qui n’en avaient pas ; le PC pour accélérer son pacte avec la DC (qui ne pouvait pas réussir et que les secteurs influencés par l’impérialisme ont boycotté jusqu’à la fin) avait lancé sa funeste consigne « non à la guerre civile ! » qui a aidé plus encore au désarmement d’une classe qui voyait la droite pointer un couteau sur sa gorge et qui ne trouvait nulle part, ni les moyens, ni la politique pour se défendre. La droite et l’impérialisme, ne cherchaient pas « la guerre civile » mais le renversement par un coup d’état du gouvernement.

Les organisations d’EG, peu développées, inconstantes, vantardes et sans implantation parmi les masses tels le Mir ou dogmatiques, incapables d’unir les généralités à une tactique qui soit avec les masses et les oriente, sans développement importante non plus, le PCR ; n’ont fait qu’essayer de crier plus fort que les autres et n’avoir aucune prise sur les événements réels de l’acute lutte de classes de ce temps. Leur faillite politique les conduira, par un chemin tragique les uns, par un chemin plus obscur les autres à leur disparition.
Le coup d’état est tombé donc comme la conséquence logique d’un ensemble des facteurs qui se rejoignent dans un faisceau de forces presque inévitables. Le coup de Pinochet, point d’orgue d’une offensive impérialiste et bourgeoise qui n’a trouvée devant elle aucune opposition qui soit digne de ce nom, a été facilité, presque accompagné par la faillite lamentable d’une stratégie politique impossible, aventurière et suicidaire que l’on peut même accuser de criminelle.
La classe ouvrière chilienne capable d’une grande capacité de combat a appris une amère leçon politique. Son élan, saboté de tous les côtés, par la réaction mais cela il fallait y compter, mais aussi par ceux qui se sont proclamés leurs dirigeants et même par ceux qui trompés eux-mêmes se prétendaient leurs acteurs critiques, ou la nécessaire alternative aux dirigeants petits bourgeois des travailleurs.

L’histoire du mouvement populaire au Chili est une suite presque ininterrompue des soulèvements des travailleurs, hélas toujours derrière un avocat, un démocrate, un radical, un franc-maçon. Depuis déjà les insurrections mapuches, de l’époque colonial, qui étaient toutes des soulèvements à caractère avant tout sociales, les mouvements de luttes démarrent à peu près tous les 45-60 ans pour augmenter très rapidement et hélas toujours être fauchés par l’armée, maitre- es répressions et gardienne fidèle d’une cruelle mais intelligente bourgeoisie, suffisamment intelligente pour se perpétuer au pouvoir malgré l’élan et la combativité des travailleurs.

Aujourd’hui, comme toujours, les étudiants et leurs luttes marquent le début d’un nouveau cycle des luttes.

Souhaitons que cette fois-ci l’étude approfondie de tant d’expériences malheureuses, l’apprentissage de l’importance d’une théorie rigoureuse, qui est encore la riche accumulation de l’expérience de lutte du prolétariat international condensée dans le marxisme léninisme, donnera les armes théoriques indispensables, aux travailleurs de tous les pays, du Chili aussi, pour en finir avec un système politique et économique, le capitalisme, qui conduit, aujourd’hui, l’humanité à la catastrophe.

Voilà très résumé ce qui est arrivé 40 ans en arrière au Chili et les leçons universelles que l’on peut tirer de cette tragédie.

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  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).