A l’Assemblée et au Sénat, les frères Bocquet traquent le capital fugueur

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Interview des frères Bocquet réalisé par Hervé Favre et paru dans Nord Eclair, le dimanche 14 avril 2013.

L’aîné, Alain, siège à l’Assemblée depuis 1978, un bail ! Le cadet, Eric, est entré au Sénat en septembre 2012. Dans la famille Bocquet, on a l’engagement politique et l’étiquette communiste dans les gènes. Leur agenda respectif ne leur permet pas de se voir très souvent à Marquillies ou Saint-Amand, mais aujourd’hui un sujet brûlant les rapproche : les paradis et l’évasion fiscale qu’ils traquent tous le deux, l’un au palais Bourbon, l’autre au palais du Luxembourg ! Rencontre avec deux élus communistes à la poursuite du capital fugueur !

- Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur les paradis fiscaux ?

Alain Bocquet – Elisabeth Guigou m’avait demandé de choisir un sujet au sein de la commission des affaires étrangères et elle m’a proposé de travailler en tandem avec Nicolas Dupont-Aignan ! C’est quelqu’un d’une grande loyauté et il a découvert lui aussi ce maquis et s’en insurge, aussi rudement que moi !

Eric Bocquet – Je n’ai pas choisi la commission des finances mais je ne le regrette pas du tout ! En janvier, mon groupe m’a demandé d’être rapporteur d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale présidée par Philippe Dominati (UMP). Le rapport a été voté à l’unanimité le 17 juillet.

- Comment avez-vous travaillé ?

A.B. – Nous menons chaque mardi des auditions depuis novembre. On est allés à Londres la semaine dernière rencontrer des banquiers. On a vu à cette occasion les officines qui ont pignon sur rue dans de beaux immeubles de la City et vendent les îles Jersey ou Caïmans. Le problème, c’est que nous faisons face à une grande tricherie mais très légalisée, avec des experts financiers qui proposent des solutions pour "optimiser fiscalement" les intérêts des particuliers ou des entreprises. 60 % de l’activité financière se fait au sein des multinationales avec les prix de transfert d’un même produit facturé x fois pour qu’à la fin les bénéfices atterrissent dans un paradis fiscal. Je n’imaginais pas au départ de ce travail que l’évasion fiscale soit quelque chose d’aussi sophistiqué, d’aussi cynique mais aussi d’aussi légal !

E.B. – Nous avons auditionné 130 personnes, les grandes banques et les grands groupes français, des ONG. Nous sommes allés à Jersey, à Londres, en Belgique et en Suisse. A l’arrivée à Saint-Hélier (Jersey), nous avons vu sur le bâtiment de l’aéroport les grandes pancartes "Investissez dans les îles". Nous avons entre autres, rencontré le consul honoraire de France qui nous a dit "travailler dans la finance", sans nous préciser qu’il était représentant de BNP-Paribas dans les îles anglo-normandes, un curieux mélange des genres ! Depuis, j’ai vu qu’un nouveau consul a été nommé !

- La fin des paradis fiscaux, annoncée depuis 2009, peut-on enfin y croire vraiment ?

A.B. – Une fois n’est pas coutume, la solution est arrivée des États-Unis avec la loi FATCA (Foreign account tax compliance act, loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers). Elle va obliger en 2014 les banques étrangères à communiquer les avoirs des citoyens où résidents américains placés chez elles. Il faut maintenant un FATCA européen. Mais il faut aussi se donner les moyens d’investigation, de contrôler et de sanctionner. Or depuis 2002, on a supprimé dans ce pays 25.000 agents du fisc. Je demande à Hollande de réembaucher tout de suite mille agents. Un agent de contrôle rapporte en moyenne 2 millions d’euros à l’État, 40 fois son salaire !

E.B. – Lors de son audition par notre commission, il y a un an, Pascal Saint-Amans, de l’OCDE, avait fait état de l’existence de 350 schémas d’optimisation fiscale répertoriés. Son dernier rapport il y a un mois, recense 400 schémas. Il m’a confirmé que l’industrie financière se porte bien ! Ça bouge quand même, le sujet devenant très sensible dans l’opinion mondiale. L’évasion fiscale des uns génère et creuse le déficit des autres. Or la réduction des déficits est la clé de voûte des politiques européennes. Pour la France, cela représente 50 milliards de recettes en moins chaque année. Les règles européennes de libre circulation des capitaux et l’unanimité pour les décisions sur la fiscalité favorisent cette évasion. Un seul pays peut bloquer le processus.

- Combien de milliards sont en jeu dans l’évasion fiscale ?

A.B. – Selon les sources, l’évasion fiscale représente un manque de 50 à 80 milliards dans le budget de la France chaque année. S’ajoutent les 10 milliards des "carrousels de TVA". Au niveau des 27 pays européens, cela fait 1000 milliards d’euros, plus que le budget annuel de l’Union. Les États sont asphyxiés par cette réalité. Pour les particuliers, on évalue à 2000 le nombre de français ayant un compte en Suisse. Ça fait quand même 60 milliards d’euros. Cela fait un siècle que la Suisse vole nos impôts en toute impunité ! Mais l’essentiel, ce sont les grandes entreprises. Les gros du CAC 40 qui n’ont pas d’actions de l’État paient en moyenne 3 % d’impôt en France. Le boucher du coin, il paie 30 % !

E.B. – Les plus grosses sommes en jeu viennent des entreprises, avec la pratique des prix de transfert. Je cite souvent l’exemple de la banane du Costa Rica, le fruit le pus consommé au monde. Elle part vers l’Europe à 11 cents pour le prix de production et puis elle voyage virtuellement entre plusieurs paradis où sont facturés ici l’usage de la marque, là les frais d’assurances, l’accès au réseau commercial. Et à l’arrivée, 60 % de son prix de vente échappe à toute fiscalité. Un Depardieu ou un Arnault qui s’en va, ça fait du bruit, mais il y a tout le système invisible.

- Quelle suite ont eu vos rapports ?

A.B. – Les mesures annoncées par Hollande vont dans le bon sens, mais il faudra changer des règles législatives. Actuellement, un procureur ne peut pas ester en justice contre un contribuable. Il n’y a que les services fiscaux qui le peuvent, sauf s’il y a blanchiment comme dans le cas Cahuzac. Cela devrait changer avec le nouveau parquet financier. Nos rapports ont servi à une prise de conscience, mais c’est un combat titanesque, européen et mondial. Les fraudeurs trouveront toujours au bout du monde des lieux pour mettre leur magot au chaud. Il faut d’abord ajuster la liste noire où la Suisse par exemple ne figure plus !

E.B. – Les 61 propositions ont été votées à l’unanimité, mais jusqu’à il y a une dizaine de jours, très sincèrement, il n’y avait pas un grand écho, hormis l’amendement voté dans le cadre de la loi sur la séparation des activités bancaires qui oblige les banques françaises à déclarer leurs filiales dans les paradis fiscaux. Aujourd’hui on va enfin s’attaquer au problème, car l’ampleur éclate au grand jour. C’est une opportunité historique. Il faut que les gouvernements mettent en place des mesures concrètes pour contrer tout cela, avec de la transparence et de la coordination. Le chantier est immense. Les trois mesures annoncées par François Hollande vont dans le bon sens, mais on est encore loin du compte.

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