À Moscou ce jour, pour les 140 ans du Vojd’, l’être humain a besoin d’idéologie

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 1%

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Même la presse occidentale est obligée de noter l’évolution de l’opinion publique en Russie et la montée en flèche de l’adhésion à l’URSS, non seulement en souvenir de la grande guerre patriotique mais aussi pour les réussites économiques, la douceur de vivre qu’on y connaissait. La popularité de Staline n’a jamais été aussi forte et ici son tombeau couvert de fleurs à l’occasion des 140 ans de sa naissance le 10 décembre 1978 (il est mort en 1953) en est un témoignage. Marianne me signale que la phrase la plus dite dans les réseaux sociaux à cette occasion a été celle qu’il aurait prononcée : « à ma mort on jettera sur moi des monceaux d’ordures mais le vent de l’Histoire les emportera ».

On laisse croire que si l’URSS et Staline connaissent une telle popularité en Russie c’est parce que le pouvoir entretiendrait un tel culte. C’est de plus en plus inexact, avec le durcissement de la politique sociale, le cas de l’allongement de la date du départ en retraite n’en étant que le symptôme le plus flagrant, on assiste au contraire à une stigmatisation de l’URSS, un retour en force de la dénonciation des révolutionnaires et même l’apparition de toute une littérature visant à réhabiliter des collaborateurs des nazis (par patriotisme anti-révolutionnaire). La propagande qui s’étale de plus en plus est assez comparable à celle que l’on voit fleurir en Ukraine. Elle se heurte à la colère de la majorité des Russes qui au contraire défendent les statues et la mémoire des révolutionnaires et s’opposent à ce que soient érigées des statues à Vlassov et à l’écrivain Soljenitsyne. Ce n’est donc pas le pouvoir mais bien la population russe qui réagit et cela participe de sa colère actuelle. Poutine jusqu’ici épargné est dénoncé comme leur complice comme il l’est dans les lois antisociales. On lui attribue même les avanies que subit la Russie au plan international en affirmant que seul le socialisme et un Staline est capable de faire face à l’impérialisme.

Il s’agit d’un mouvement d’opinion dont on ne sait pas très bien s’il est le produit d’années de lutte des communistes russes ou si au contraire il est en train de pousser le parti communiste de Russie vers sa « gauche ». Il est fréquent en effet, toujours dans les réseaux sociaux d’entendre reprocher au parti communiste de Russie de ne pas être révolutionnaire, d’avoir trop de compromis.

Marianne me signale quelque chose de tout à fait fondamental pour comprendre la relation des Russes à l’URSS, dans son discours Poutine ne parle en aucun cas du manque de liberté et de tout ce que nous répétons à propos de l’URSS, parce qu’il sait qu’il ne serait pas crédible et que l’opinion russe lui répondrait « va raconter ça aux occidentaux ». Et elle me décrit une scène entre deux femmes députées à la Douma, une communiste et une députée de droite de Russie unie (le parti de Poutine). La communiste accuse Poutine et Russie unie d’avoir détruit l’URSS, d’avoir privé les russes d’un système social de grandeur et de justice sociale : la députée de Russie unie proteste « ce n’est pas nous qui avons détruit l’URSS ce sont les communistes qui étaient alors au pouvoir ». C’est d’ailleurs l’argument de Poutine lui-même « je n’étais qu’un petit officier du KGB j’obéissais à votre parti. »

Il est très compliqué pour un Français fut-il communiste de mesurer tout cela et de percevoir le rejet grandissant du capitalisme, le fait que l’argument occidental contre est considéré comme de la pure propagande.

Ce qui paraît le plus essentiel pour un communiste français c’est de bien mesurer ce qui se passe dans le monde et la véritable postérité des révolutions communistes. Il n’est pas question d’en retirer le fondement de sa propre politique, mais ne serait-ce que pour l’important sujet de la paix, il est essentiel que tous les communistes soient plus au fait des mouvements de révolte qui partout prennent de l’ampleur avec leur potentielle traduction soit en fascisme et en guerre, soit en socialisme s’il existe des forces organisées de classe et de masse.

Kontchalovsky, l’art et l’idéologie, URSS ou capitalisme ?

Enfin je voudrais pour compléter ce tableau de la société russe aujourd’hui faire état de l’opinion d’un intellectuel qui reflète assez bien les hésitations d’un certain nombre d’entre eux qui avaient pourtant contribué par leur « dissidence » à la fin de l’URSS. Il s’agit d’Andreï Konchalovsky, le cinéaste bien connu, l’auteur du Premier maître et dernièrement des Nuits blanches du facteur. Pour faire court il appartient à une véritable tribu d’intellectuels les Mikhalkov. Son père, poète présente la particularité d’avoir écrit les paroles des trois hymnes, le soviétique avec son ode à Staline, le second soviétique débarrassé de Staline et enfin toujours sur le même air, l’hymne russe post-soviétique. Son frère est Nikita Mikhalkov le grand cinéaste, proche de Poutine et qui a toujours eu au nom du patriotisme d’excellentes relations avec le pouvoir. Notons également que la majorité des Russes méprise totalement ces intellectuels qui ne cesqsent de retourner leur veste.

Kontchalovsky a été le dissident et il est parti aux Etats-Unis, d’où il est revenu. Depuis il ne cesse de faire des déclarations plus ou moins hermétiques sur le fait que le système capitaliste pour les artistes est pire que le système soviétique. Non seulement parce que la censure y est plus impitoyable mais aussi parce que le public que crée le capitalisme est vidé de toute aspiration à l’art.

Kontchalovsky qu’il s’agisse du Premier maître ou des Nuits blanches du facteur est toujours attentif à ce que le socialisme a produit sur l’âme russe ou celle des peuples d’Asie centrale (le premier maître) et s’il demeure très « poutinien » en montrant les racines quasi animiste de ces « âmes », leur « éternité », il juge d’un système par sa capacité à préserver un public pour les arts, et à ce titre il faut noter l’approbation de la France et de la Chine qui face à Hollywood continuent à défendre un public original.

Si l’on pouvait apporter une conclusion à ce témoignage de Kontchalovsky traduit par Marianne, ce serait la réflexion d’Ernst Bloch, le philosophe marxiste qui après avoir fui la RDA, réfugié en RFA affirmait « le pire des régimes communistes vaut mieux que le meilleur des régimes capitalistes parce qu’il y reste le principe espérance.

Ou comme il l’affirme : « j’ai personnellement besoin d’idéologie »

Tout le monde a prêté attention au dompteur Zapashny, qui, lors de la Session du Conseil présidentiel sur les Arts et la Culture le 15 décembre à Saint-Pétersbourg, a exigé de Poutine des mesures protectionnistes pour le Cirque du Soleil. Mais d’autres discours remarquables ont été entendus au Palais Constantin sur le même sujet. Voici par exemple ce que le réalisateur Andrei Kontchalovsky a déclaré :

Andron Konchalovsky : « J’ai personnellement besoin d’une idéologie »

Poutine et les Mikhalkov

Danielle Bleitrach

Андрон Кончаловский : Мне лично необходима идеология

Aldous Huxley, un philosophe anglais, a écrit il y a 40 ans que l’Europe se dirigeait vers l’abîme à bord d’une Rolls Royce et la Russie en tramway. A l’origine, c’était plutôt une moquerie, mais maintenant cela semble bien un avantage, parce que la Russie dans ce sens est derrière l’Europe, Dieu merci. Nous avons une culture unique en ce sens, où le théâtre est beaucoup plus important qu’en Europe. C’est-à-dire que, dans notre pays, les gens applaudissent, ils viennent avec des bonbons aux entrées du théâtre. Mes collègues italiens, souvent, quand ils viennent, ne comprennent pas qu’il existe encore de tels spectateurs.

La musique classique. Qui écoute la musique classique en Occident ? Des personnes archi sérieuses et sans problèmes financiers. Nous éprouvons toujours ce besoin. Nous lisons encore. En d’autres termes, nous pouvons dire que l’attention traditionnelle que nous portons à la culture est telle qu’il est impossible de la perdre sur Internet, qui prive les gens de points de référence. Toute abondance dans ce sens n’est pas très propice au développement d’une idée correcte des idéaux.

Malheureusement, je dois dire qu’en tant qu’artiste, j’ai le sentiment qu’il me manque un point de référence. Les gens me demandent souvent : en fait, que construisons-nous ? Qu’est-ce qu’une idée nationale ? Auparavant, dans la Russie pré-révolutionnaire, il existait la triade, et puis le code. Et il me semble qu’il est nécessaire, puisqu’il existe déjà un Conseil de la culture, d’arriver – je dirai sans détour que l’idéologie est nécessaire. Personnellement, j’en ai besoin.

Et encore une petite remarque, ou plutôt deux. J’ai vécu en Amérique pendant dix ans. Et je dois vous dire que la censure que j’ai subie en Amérique est incomparable avec la censure soviétique. Incomparable. On m’a demandé de couper un passage, un autre, un troisième … Si j’avais réalisé un film sur la guerre, le Pentagone aurait contrôlé chaque scène. Quand ils disent non, c’est fini.

De plus, aucun film étranger en Amérique ne sort avec doublage, c’est interdit. Toutes les films étrangers en Amérique ne sortent qu’avec des sous-titres. C’est pourquoi ils ont fermé le marché, le marché est fermé pour les films étrangers, car les Américains n’aiment pas lire. Et donc il s’avère que nous sommes ouverts, tout ce que vous voulez arrive ici. Quoi que vous puissiez dire, le marché libre est libre, mais il ne s’agit pas d’un marché de valeurs, c’est un marché d’idées, pas de valeurs.

À mon avis, la France, la Chine et d’autres pays agissent comme il convient en limitant la possibilité de former un spectateur américain chez eux. Nous nous avons un spectateur américain très développé. J’ai même demandé, dans mon dernier film, l’inscription : « S’il vous plaît, ne venez pas sans pop-corn. » Quand je tournais un film américain, le producteur m’a dit : « Tu ne peux pas mettre le son plus fort que ça ? » Je dis : « Pourquoi plus fort ? J’en ai déjà plein les oreilles. Il dit : « Ils croquent du pop-corn. » Comprends-tu ? ..

Parce que autrefois, quand on étudiait, on avait des points de référence : Eisenstein, Poudovkine, avec Tarkovsky on regardait Fellini, il y avait des noms qui nous tiraient vers le haut. Le monument d’aujourd’hui est Tarantino, demain c’est Lars von Trier, après-demain encore un autre. Les jeunes ne savent pas où aller, naviguent à vue dans l’océan : ici un phare est allumé, un autre là-bas. Et il me semble qu’il est absolument nécessaire de donner au moins notre idée de l’endroit où aller … On ne peut abandonner comme ça la tradition russe du théâtre réaliste.

Voir en ligne : sur le blog de Danielle Bleitrach

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