2017 : qu’est devenu l’électorat communiste ?

, par  pam , popularité : 2%

Beaucoup de communistes qui s’étaient engagés à fonds pour le vote Jean-Luc Mélenchon ont été meurtris par les résultats des législatives. Dans certaines villes, ils avaient le sentiment d’avoir été la force principale plaçant Jean-Luc Mélenchon à un très haut niveau, au dessus de son score national, voire en tête, pour se retrouver quelques semaines plus tard avec un vote PCF aux législatives très bas, historiquement le plus bas depuis 1958 au plan national. Ces militants s’interrogent : comment un tel écart est possible ? Pour beaucoup d’entre eux, les deux votes avaient le même sens politique, le programme de la France insoumise semblant proche de celui du Front de Gauche. Dans beaucoup de quartiers, de marchés, ce sont les mêmes militants qui avec à peu près les mêmes arguments ont mené campagne, en avril pour Jean-Luc Mélenchon, en Juin pour un candidat communiste après l’échec de discussions locales avec la France Insoumise qui presque partout se terminaient par le renvoi au national...

De premières réactions ont cherché une réponse dans la critique de la France insoumise, mais les communistes doivent regarder en face leur propre campagne, la cohérence de leurs choix, notamment depuis qu’ils ont confiés à Jean-Luc Mélenchon en 2012 le soin de les représenter à l’élection principale de la 5ème république.

Sauf à penser que le peuple est stupide et n’a rien compris, il faut constater que le vote Mélenchon était autre chose qu’un vote communiste, ce qui met en cause le sens que les communistes lui ont donné en première analyse. Si les 15% de Marchais en 81 n’ont pas été suffisant pour empêcher la dérive du gouvernement de gauche vers l’austérité, c’était un vote communiste, affirmant un choix de classe que porte la formule mémorable "au dessus de 4 millions, on prend tout". Pour bien comprendre le rapport de forces actuel, comment éclairer en quoi le vote Mélenchon porte ou non un vote communiste. Cette étude comparative du vote Marchais de 1981 et du vote Mélenchon de 2017 donne un éclairage utile.

Les communistes ont d’autant plus besoin de cette analyse que tous ceux qui jouent depuis des années la recomposition politique sur la fin du PCF regardent les résultats de 2017 avec satisfaction. Aurélien Bernier, promoteur d’une gauche radicale qui renouerait avec la souveraineté populaire étudie « les résultats cachés du 11 juin 2017 ». Il est souvent cité depuis les partisans de la décroissance jusqu’aux communistes du PRCF. Son constat est direct :

Quant au Parti communiste français, il réalise le 11 juin le pire score de toute son histoire : 1,29 % des inscrits. C’est moins qu’en juin 2007 (2,54 % des inscrits) et encore en dessous du résultat de Marie-George Buffet à la présidentielle deux mois plus tôt (1,59 % des inscrits).

Mais où est passé le vote communiste ?

Si tant de militants sont désemparés, c’est que le discours politique du parti communiste depuis la création du Front de Gauche, et notamment pendant cette année 2017 est incapable d’expliquer un tel écart entre le résultat des présidentielles et des législatives, alors qu’il affirme que le PCF portait le même choix politique dans les deux échéances, assimilant ainsi le choix communiste avec la gauche radicale sous la forme du Front de Gauche. Selon cette stratégie, les 19,58% du vote Mélenchon d’avril 2017 devraient avoir une forte dimension communiste, bien au-delà des 2,72% des législatives. Pourtant, des 7 millions d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon, seuls 650 000 ont été des électeurs communistes aux législatives. En 1981, les 4,46 millions de voix de Georges Marchais et ses 15,35% avaient été suivis de 4,07 millions de voix et 16,13% aux législatives...

Comparons donc ces deux élections présidentielles de 1981 et de 2017 [1]

Bien sûr, le vote Mélenchon est relativement lié au vote Marchais [2]. Mais à vrai dire, le vote Marchais était aussi fortement lié au résultat global de la gauche. C’est dans les villes communistes que Mitterrand faisait ses plus hauts scores de deuxième tour... Il faut entrer dans le détail au niveau des villes pour étudier ce lien entre vote communiste et vote Mélenchon. Le graphique suivant présente les résultats de toutes les villes de plus de 9000 habitants représentée chacune par un point placé au résultat de Marchais en 1981 sur l’axe horizontal et au résultat de Mélenchon sur l’axe vertical. On obtient un nuage de point qui est très majoritairement au dessus de la diagonale, mais surtout sur la gauche, alors qu’il se retrouve en dessous sur la droite, vers les plus hauts résultats de Marchais. L’axe du nuage représentant la moyenne de tous les points illustre cet écart, il croise la diagonale autour de 15%. Autrement dit, en dessous de 15%, Mélenchon est au dessus de Marchais, et plus on va vers des résultats élevés, plus Mélenchon est en dessous de Marchais. C’est le premier constat. Mélenchon fait beaucoup mieux que Marchais là ou Marchais était faible, et moins bien, là ou Marchais était fort.

On peut représenter autrement cette forte différence entre les deux votes en représentant pour chaque ville le score de Marchais (point rouge) et le score Mélenchon (point vert), après avoir classé les villes par ordre croissant de résultat de Marchais. Cela conduit à une ligne rouge croissante, illustrant la forte concentration du vote communiste sur ses points forts au dessus de 30%, alors que de nombreuses villes sont très en dessous de 10%, et au contraire un nuage de point vert relativement concentré autour de sa moyenne [3], entre 10 et 30%, bien entendu en croissance selon le vote Marchais, mais plus faiblement.

Cette différence n’est pas une question de taille de ville comme le montre le même graphe trié par nombre d’inscrits en 1981, même si on constate aussi que dans les très grandes villes, Marchais était faible et Mélenchon nettement au dessus.

La répartition géographique comparée

Cette différence est éclairée fortement par les répartitions géographiques comparées du vote Marchais et du vote Mélenchon comme le montre les deux cartes des résultats par département. La coloration du département est proportionnelle au résultat en % des inscrits, et la taille du cercle est proportionnelle au nombre de voix, ce qui permet de représenter à la fois le poids local dans le département et la contribution au résultat national.

On peut noter l’écart en faveur de Marchais dans les départements les plus ouvriers (nord, pas de calais) et à l’inverse l’écart en faveur de Mélenchon dans des départements socialistes notamment dans l’ouest.

Cette première analyse géographique se confirme au niveau des villes.
- Dans les 50 villes de plus de 9000 habitants ou Marchais faisait ses plus haut scores (en moyenne 33,37%), Mélenchon fait nettement moins avec 23,25 % en moyenne, et des écarts plus importants encore à Escaudin (Nord, Marchais 40,2 %, Mélenchon 17,71 % soit - 22,49 %), Port-Saint-Louis du Rhône (Marchais 49,13 %, Mélenchon 30,28%), Port-de-Bouc (Marchais 49,71 %, Mélenchon 32,02%), Rouvroy (Pas de Calais, Marchais 35,80 %, Mélenchon 18,05%) ou Raismes (Nord, Marchais 35,89 %, Mélenchon 18,05%)
- Par contre, dans les 50 villes de plus de 9000 habitants ou Marchais faisait ses scores les plus bas (en moyenne sur ces 50 villes 4,32%), Mélenchon fait nettement mieux avec 11,45 % en moyenne, et des écarts plus importants à Strasbourg (Marchais 3,76 %, Mélenchon 18,78%), Mulhouse (de 5,39% à 15,28%) et des écarts de plus 10 % à Plougastel, Mende, Landerneau...

Cette analyse n’est pas propre aux villes les plus clivées politiquement. Elle peut être généralisée.
- Dans les 144 villes où Marchais dépassait les 20 % des inscrits, Mélenchon perd dans 125 et ne gagne plus de 1 % que dans quelques villes de région parisienne (Montreuil, Le Blanc-Mesnil, Pierrefite sur seine, Tremblay en France, Bagneux,Choisy-le-roi, Villeneuve-Saint-Georges, ) et quelques villes communistes de province (Saint-Martin d’Hères) ou anciennes (Bègles)
- Dans les 292 villes où Marchais n’atteignait pas les 10 % des inscrits, Mélenchon les dépasse nettement (13,80%) et progresse de plus de 5 % dans 202 villes, et de plus de 10 % dans 22 villes principalement de province (Alsace, Ouest, Haute-Garonne) et de grandes villes (Lyon, Nantes, Grenoble, Créteil, Cannes, Evry)

La force du vote Mélenchon ne dépend donc que très peu de la force ancienne du vote communiste. Il est au contraire fortement lié au vote de gauche historique, notamment dans les grandes agglomérations, et donc de fait, au vote socialiste.

Le vote communiste se perd dans la fracture Française

La deuxième analyse géographique illustre ce que tous les commentateurs ont évoqué, une fracture Française entre les régions ouvrières ou rurales en déshérence et les métropoles attractives. Elle se lit directement dans les comparaisons régionales. Dans les 70 villes ou Mélenchon est très en dessous de Marchais [4], on trouve 19 villes du Pas de Calais, 19 villes du Nord, 11 villes des bouches du rhone, et... une seule de la région parisienne (Arcueil). A l’opposé, dans les 109 villes ou Mélenchon fait beaucoup mieux que Marchais [5], on trouve 10 villes de Loire-Atlantique et du Bas-Rhin, 9 du Haut-rhin, 5 de Moselle, Ille et Vilaine et Moselle, 4 de la manche, du Finistère ou de la Gironde… et dans la région parisienne, Vincennes, Créteil, Sceaux, Marly le roi, Cergy, Ville d’Avray, Bourg la reine, Evry, Le Vésinet et… Paris !

La situation dans les villes qui ont eu ou ont un maire communiste confirme cette distance du vote Mélenchon avec le vote historique communiste cristallisé dans le vote communiste municipal. En effet, dans les 98 villes qui ont eu un maire communiste, Mélenchon fait 1,5% en moyenne de moins que Marchais (Marchais 23,6 %/inscrits, Mélenchon 22,12%/inscrits), alors qu’il fait 4 % de plus dans les autres villes (Marchais 11,43 %, Mélenchon 16,09 %). Il gagne d’abord là où le vote communiste historique est faible…

Cette cassure avec le vote communiste est masqué par de très fortes disparités régionales révélant la fracture Française, avec des des baisses d’au moins 30 % dans des villes du nord et du midi [6], mais des progressions d’un tiers dans des villes de la région parisienne [7].

Au total, Mélenchon ne remobilise pas le vote communiste historique de Marchais dans les régions Nord, Provence et Corse, mais l’élargit fortement en Bretagne et dans la région Loire.

Cette fracture française est aussi illustrée par la situation des grandes métropoles. Sur les 14 villes de plus de 100 000 inscrits en 1981, Marchais faisait 10,49% et Mélenchon atteint 17,78%, proche de son score national, dans des villes ou l’opération Macron a pourtant largement absorbé le vote socialiste.

Ces analyses électorales confirment les sondages sur le caractère social du vote, avec un vote Mélenchon faiblement marqué socialement, réalisant
presque autant chez les ouvriers (24%) et employés (22%) que chez les professions intermédiaires (22%) et les cadres (19%), restant en dessous de Le pen chez les ouvriers (37%) et les employés (32%), plus faible chez les non bacheliers que chez les formations supérieures. De fait, ce sont les ouvriers et employés qui se sont le plus abstenus. Marchais en 1981 s’approchait encore des 30% chez les ouvriers, et beaucoup plus dans ses places fortes !

Lors du dernier conseil national de l’ANECR, association des élus communistes et républicains, une présentation par un expert de l’IPSOS montrait comment les sondages pendant la campagne permettent de comprendre la dynamique des votes... sans aucun recul sur la place des sondages dans la campagne justement, et sans aucune question sur la dimension sociologique du vote. Pourtant la question posée dans cet article s’était fortement exprimée, même si certains insistaient pour voir dans le vote Mélenchon un vote communiste équivalent au vote Marchais.

Le vote communiste et la "gauche radicale".

Au contraire, cette analyse est essentielle pour ceux qui ne se résignent pas à considérer la "gauche radicale" comme une réponse politique à la hauteur de la crise du capitalisme mondialisé, notamment en France, pays où les luttes politiques sont exacerbées. Les analyses d’Aurélien Bernier répondent à sa recherche d’une gauche radicale qui renoue avec la souveraineté populaire, mais les communistes savent qu’il ne suffit pas d’un "bon programme" pour imposer la rupture avec le capitalisme. De fait, ils ont le souvenir d’avoir tout fait pour renégocier un "bon programme" qui a permis la victoire de 81 et... sa rapide trahison.

L’électorat Mélenchon et sa traduction législative confirme la recomposition politique réussie à gauche avec la quasi disparition du PS, et la naissance d’une nouvelle force politique "vraiment" de gauche qui fait la synthèse d’une part de l’électorat communiste et d’une part de l’électorat socialiste. La comparaison des scores de François Mitterrand et Georges Marchais en 1981 et de Jean-Luc Mélenchon en 2017 confirme cette lecture du résultat de la France Insoumise comme un mix d’une part de l’électorat communiste non ouvrier et d’une part de l’électorat socialiste peu métropolisé...

La France insoumise est donc une force politique progressiste ancrée dans le refus de l’austérité et la dérive antisociale du gouvernement socialiste. Dans la résistance à l’arrogance patronale macronisée, elle peut être une force politique utile au mouvement social.

Mais elle n’exonère pas les communistes de leur réflexion sur leur avenir, leur utilité pour le peuple, en commençant par regarder où sont passés les électeurs communistes des milieux populaires, du monde ouvrier et paysan qui faisait les zones "rouges" et avaient été marquées par la résistance. Si le résultat des législatives est si décevant, c’est d’abord que le vote communiste perdu depuis 20 ans n’a pas été réveillé par la campagne Mélenchon, dont la force était d’abord un vote "de gauche". Ce vote fait souvent confiance aux élections locales aux communistes, mais en portant faiblement le projet communiste, et donc fragile dans une élection à fort enjeu national.

La France insoumise ne répond pas à la question posée par le coup d’état au chili de 1973, question que le PCF a ignorée depuis sa stratégie d’union de la gauche, à cette même question posée par la guerre menée la révolution bolivarienne au Vénézuela en ce moment même. C’est la question de l’organisation du peuple pour imposer le changement de société, question centrale pour l’utilité d’un parti communiste.

C’est ce que les communistes doivent reconstruire, un parti utile au monde du travail pour réouvrir la perspective du changement de société. Ils ne le feront pas caché derrière la FI ou le Front de Gauche. Ils le feront en affirmant la place et l’ambition de leur parti.

[1Pour cette comparaison, tous les résultats sont exprimés en % des inscrits pour des comparaisons indépendantes du niveau d’abstention...

[2pour les statisticiens, le coefficient de corrélation entre les deux séries de résultats dans les villes de plus de 9000 habitants est de 0,64

[3l’écart-type des résultats pour Marchais est de 7,4% autour de sa moyenne de 14% et seulement de 4,3% pour Mélenchon autour de sa moyenne de 16,5%

[4où il réalise moins des 2/3 du résultat Marchais

[5où il réalise au moins le double

[6Port-de-Bouc, Septèmes-les-Vallons, Aniche, Aulnoye-Aymeries, Denain, Douchy-les-Mines, Escaudain, Raismes, Somain, Vieux-Condé, Waziers, Calais, Harnes, Méricourt, Rouvroy, La Seyne-Sur-Mer

[7Thionville, Champs-sur-Marne, Les Mureaux, Grigny, Massy, Aulnay-Sous-Bois, Noisy-le-Sec, Pantin, Sevran, Garges-lès-Gonesse, Sarcelles

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).